Parmi les nombreux problèmes qui alourdissent l’implémentation de la démocratie dans les Républiques africaines et, singulièrement dans les États francophones, dont la Côte d’Ivoire, le cumul des postes et mandats publics est de loin le plus critique et assurément l’un des plus pernicieux. L’on y décèle une double cause.
D’une part, son caractère sibyllin car relevant d’une appréciation maladroite et, somme toute, subjective de la démocratie elle-même et de ses valeurs et, de l’autre surtout, du fait que cette difformité de conception soit érigée en norme. D’où, d’ailleurs, sa caractéristique structurelle au cœur de nombreux systèmes politiques et sociaux de nos États. Mais comment en est-on arrivé à créer, par manque de considération envers la démocratie et ses valeurs cardinales, une oligarchie (qui nie son état oligarchique en se réfugiant derrière le formalisme des institutions et le simple fonctionnement de celles-ci) dans les mains de la laquelle sont concentrés des pouvoirs de tous ordres et ce, en dépit de notre besoin unanime affirmé de démocratie ou de gouvernance démocratique ? Et comment en est-on arrivé à formater en une norme une pratique si maladroite en habitude (et en « bonne habitude ») démocratique au sein de la majorité du peuple, fermentant ainsi l’esprit de ce dernier et le conditionnant à admettre, à ses propres dépens, l’inadmissible ? De quoi s’agit-il au juste ?
Bien avant l’ère du multipartisme en Côte d’Ivoire et bien au-delà de cette ère, les pouvoirs ivoiriens qui se succèdent ont eu et conservé une typologie très centralisée. Pour donner le sentiment d’un partage – qui ne s’embarrasse guère des fioritures d’équité – l’on a imaginé des regroupements basés sur une certaine homogénéité tribale, ethnique, régionale pour former des gouvernements dits « géopolitiques » dans lesquels siègent des individus qui le font au nom et pour le compte des régions, ethnies, tribus sans toutefois le faire sur la base d’un mandat clairement officialisé. Du coup, chaque Ministre représente un groupe d’individus dont l’homogénéité en termes d’unité identitaire n’est pas forcément assurée. Quand même l’on prétexte des impératifs d’ouverture politique pour céder des ministères à des partis d’opposition, rarement ou presque jamais, l’on a échappé à cette forme de distribution des portefeuilles ministériels. Les critères de choix pour déterminer de tels postes ministériels ne reposent donc en pratique sur aucune base de démocratie. Et d’un.
De deux, tant que les ministres choisis – autant sur les bases des critères évoqués ci-dessus que ceux qui le sont sur la simple discrétion du Président de la République – acceptent de siéger au gouvernement et se contentent de (grignoter les derniers publics) jouir de leur condition excellente d’individus privilégiés de notre système, le peuple ne sera pas autant désabusé de devoir cotiser pour l’oligarchie qu’ils constituent. C’est-à-dire une classe dans les mains de laquelle d’énormes moyens financiers et capitaux sont concentrés et à qui il est laissé libre cours d’en user et d’en jouir selon son entendement.
Le hic survient quand cette bourgeoisie spontanée s’invite dans les élections. En effet, dès lors que le système politique, les régimes et codes électoraux autorisent les individus de cette oligarchie à briguer des mandats parlementaires et à céder leur siège à un suppléant, à s’inviter aux Municipales, Départementales, Régionales, il y a problème.
Résumons !
Un ministre, en Côte d’Ivoire, peut soit à la fois se faire élire député, ensuite maire, président de Conseil général et/ou Régional… sans pour autant être un homme d’exception. C’est-à-dire d’une intelligence ou d’un génie politique particuliers, d’une expérience née d’un parcours ou cursus professionnel, social, universitaire particuliers… Le seul avantage qui lui assure les succès dans les différents scrutins, c’est son statut de Ministre nanti des derniers publics collectés chez le contribuable. L’ensemble des contribuables étant lui-même si appauvri qu’il devient admiratif de la « richesse » soudaine du Ministre, Député, Maire, Président de Conseil général ou Régional. C’est un joli paradoxe. Puisqu’en définitive, tous les ministres – du moins ceux qui briguent des mandats et des postes – s’accommodent bien de la situation, le peuple aussi d’ailleurs et tout le système ainsi dit démocratique. Personne ne soupçonnera le Ministre, le Directeur Général d’un EPN ou d’une société d’État de contrevenir à la démocratie et sa situation cumulative de Ministre ou Directeur Général, Député et Président d’une collectivité décentralisée n’est point, au regard des valeurs de notre démocratie, un cumul de postes ou de mandats qui compromet la démocratie.
Dans la même veine, tous crieront au scandale dès lors qu’un magistrat (Juge), un militaire briguerait un mandat parlementaire. La loi est claire sur la question. Qu’est-ce qui autorise donc le Ministre à utiliser avantageusement pour soi (égoïsme) les ressources publiques, son statut pour « compétitionner » avec les autres contribuables dans des joutes électorales dites démocratiques, justes, transparentes et ouvertes à toutes et à tous ? Rien d’autre que la dictature par les moyens inégaux que lui fournit son statut de ministre, de DG, etc.
Soit la réglementation et le code des élections deviennent suffisamment équitables et justes pour tout le monde au point d’interdire au Ministre, Directeur Général d’un EPN et société d’État d’atteindre un certain niveau de campagne (contrôle systématique des budgets de campagne) ; soit la loi devient catégorique pour interdire aux cadres de l’Exécutif de briquer certains postes électifs, car c’est une absurdité et un paradoxe qui tuent la démocratie. C’est au nom de cette logique que les magistrats et militaires sont abstenus de briquer des postes. Ce sera des cas indéniables d’incompatibilité de statut. Par exemple, quel candidat, fût-il populaire et adulé des populations, pourrait vaincre le Premier ministre dans une élection ? Aucun, assurément ! Que faire donc ?
Laisser courir l’injustice et permettre aux Ministres, Directeurs généraux… de supplanter leurs autres concitoyens lors des élections ou demander une réforme profonde qui ferait la part belle à une gouvernance démocratique équitable et juste ? La réforme s’impose de loin. Surtout pour des cas de sortie de crise, de conflit et de violence communautaire dans lesquels l’on sait à quel point la responsabilité de la gouvernance politique (surtout du fait de ses pratiques iniques) reste entière.
Éduquer le peuple et le rendre sensible à cet état de fait prend assez de temps. Cela prendra encore plus de temps dans les pays où coexistent déjà des identités ethniques, religieuses et ou tribales. C’est pourquoi les entrepreneurs politiques parviennent à abuser le peuple, à oppresser sa liberté de choix, à falsifier son pouvoir de jugement et s’imposer à lui sous les artifices d’une gouvernance démocratique. Mais à y regarder de près, il s’agit ni plus ni moins d’une oligarchie. C’est une illusion qui est servie au peuple qui pense vivre dans un système démocratique mais qui est réduit en définitive à un simple fonctionnement institutionnel et à l’organisation d’élections plus ou moins régulières.
Si nous faisons en sorte à plus apparenter la gouvernance de nos États à une délibération collective qui implique aussi les individus sans engagement dans l’un des 3 pouvoirs (Législatif, Judiciaire, Exécutif) et à imposer des règles sur les pratiques politiques de campagne (y compris les précampagnes) avec des possibilités équitables de « compétitionner » lors des joutes électorales, plus elle deviendra juste et recommandable à des Républiques comme les nôtres. Avons-nous autre choix que celui-là pour prévenir nos interminables crises, conflits et violences de tous ordres, nos insatiables désirs de vengeance, etc. ? Assurément, pas ! Faisons donc l’effort d’y réfléchir et d’y réfléchir bien !
KOBENAN TAH THOMAS
Entièrement d’accord avec vous. Il faut plafonner les dépenses de campagnes car les dépenses excessives ne peuvent conduire qu’à la corruption des dirigeants élus et à la ruine de ceux qui ne sont pas élus. il faut ensuite contrôler les sources de financement de la campagne et interdire absolument l’utilisation de deniers publics en dehors des subventions octroyées à tous les candidats. En fin, il est incompréhensible qu’un simple fonctionnaire soit obligé d’obtenir une mise en disponibilité avant d’être candidat et qu’un ministre aux législatives puisse être candidat sans renoncer par avance à cette fonction. C’est une véritable escroquerie au vote que d’user des deniers publics, de ses titres et de sa notoriété pour obtenir un poste de député avec l’intention de ne jamais exercer cette fonction et de le céder à un suppléant sur lequel les électeurs n’ont pas porté leur choix et qu’ils connaissent à peine. Il est donc impératif d’interdire la suppléance immédiate voir de supprimer ce système.