Prévue dans la loi de finances 2025, la réforme des droits d’accise sur le tabac en Côte d’Ivoire constitue un choc fiscal pour l’industrie locale de la cigarette. Les conséquences pourraient être dévastatrices. La nouvelle loi fait passer la taxe de 49% à 70%. Ce qui entraînera à coup sûr une hausse des prix de vente au détail de 1.500 à 2.000 francs CFA par paquet de cigarettes. Si l’objectif est d’augmenter les recettes fiscales, le pari est risqué à plusieurs niveaux.
Risque de dérégulation du marché
Alors que le gouvernement espère une augmentation des recettes fiscales grâce à cette réforme, le marché du tabac risque au contraire de subir une déstabilisation complète. Une hausse aussi brutale des taxes pourrait précipiter la fermeture de la SITAB [Société ivoirienne des tabacs], l’unique fabricant de cigarettes en Côte d’Ivoire. Ce qui va entraîner la destruction de milliers d’emplois le long de la chaîne de valeurs. De la production à la distribution.
Vers plus de contrebande
Avec la forte hausse prévue des prix des cigarettes, la Côte d’Ivoire est le pays où le produit est le plus cher en Afrique de l’Ouest. Avec des prix 2 à 5 fois plus élevés que dans les pays voisins tels que le Burkina Faso, le Mali et la Guinée, nul doute que le commerce illicite de cigarettes explosera. Des exemples internationaux, comme ceux des Philippines, de la Malaisie où en 2023 une forte augmentation des impôts a conduit à un niveau illicite de 50%, montrent que de telles hausses de taxes entraînent systématiquement une augmentation du commerce illicite. Parfois jusqu’à 60 % des ventes totales.
Cela pourrait avoir des conséquences encore plus graves en Côte d’Ivoire. Le commerce illicite de cigarettes ne se limite pas à la contrebande. Il est souvent lié à des réseaux criminels qui utilisent ces activités pour financer d’autres activités illégales. Avec la dégradation de la situation sécuritaire dans les pays voisins (Burkina Faso, Mali et Niger) à cause de l’expansion de groupes armés, une augmentation du commerce illicite de cigarettes pourrait renforcer ces réseaux. En plus d’affaiblir l’économie légale, cela pourrait aggraver la menace sécuritaire dans toute la région.
Attention à l’insécurité
Les autorités ivoiriennes ont-elles mesuré les conséquences sécuritaires qui pourraient naître ? En exacerbant le commerce illicite, la Côte d’Ivoire risque de devenir un point stratégique pour les trafics transfrontaliers. Alimentant non seulement l’économie parallèle, mais aussi les réseaux terroristes et criminels qui sévissent dans la région. Des exemples récents montrent comment ces groupes utilisent les revenus du commerce illicite pour financer des activités déstabilisatrices. Le gouvernement ivoirien, en quête de nouvelles recettes fiscales, pourrait se retrouver à lutter contre une déstabilisation économique et sécuritaire d’une ampleur qu’il n’avait pas anticipée.
Par ailleurs, la chaîne de valeurs du tabac en Côte d’Ivoire emploie des milliers de personnes. Directement et indirectement. Du producteur de feuilles de tabac au détaillant, en passant par le fabricant et le distributeur, toute une économie est liée à cette industrie. La fermeture potentielle de la seule unité industrielle du tabac du pays, incapable de survivre à une telle augmentation fiscale, signifierait la perte d’emplois pour un grand nombre d’Ivoiriens.
Équilibre entre santé publique, stabilité économique et sécuritaire
S’il est compréhensible de vouloir réduire la consommation de tabac et augmenter les recettes fiscales, la voie choisie pourrait engendrer des conséquences bien plus graves. Une approche plus graduelle et réfléchie, accompagnée d’une lutte renforcée contre le commerce illicite, serait la meilleure option pour atteindre les objectifs de santé publique tout en préservant la stabilité économique et sécuritaire du pays.
FOFYE AKIMBONI