Deux ans après avoir détrôné l’Inde de sa place de premier pays producteur mondial de noix de cajou, la Côte d’Ivoire peine à maintenir son leadership. En cause, la fuite d’une grande partie de sa production vers ses voisins. Notamment le Ghana et le Burkina Faso où l’anacarde s’achète aux meilleurs prix, en raison du faible niveau de production de ces pays limitrophes.
Pour cette campagne de commercialisation 2017 débutée le 16 février, les quantités qui échappent au contrôle du Conseil du Coton et de l’anacarde (CCA) se chiffrent en centaines de tonnes. Des pertes énormes en termes de recettes d’exportation pour l’État ivoirien. Rien que dans la nuit du mercredi 15 mars, 5 camions ghanéens transportant un total de 60 tonnes de cajou ont été arrêtés sur le sol ivoirien.
Du 14 au 17 mars, l’organe de régulation a mené des missions dans l’Indénié-Djuablin, le Gontougo et le Bounkani. C’est de ces régions de l’Est, faisant frontière avec le Ghana, que la grande partie de la production ivoirienne de cajou est illicitement exportée vers ce pays voisin. À Agnibilékrou, première ville de sa tournée, le directeur du CCA s’est voulu clair : « les régions et départements d’où l’anacarde part vers les pays voisins sont les perdants immédiats. En effet, le CCA est dans la phase d’identification des localités de grande production de sorte à les programmer et y orienter les investisseurs. Si dans ces régions le CCA constate une baisse de production sur des campagnes successives, les investisseurs seront dirigés ailleurs », a précisé Adama Coulibaly. Au-delà du déclin économique des localités productrices, la conséquence du trafic des noix vers les pays frontaliers est la perte du leadership de la Côte d’Ivoire en tant que premier pays producteur mondial. Et pour cause, « la Côte d’Ivoire était très peu connue en Inde, au Vietnam, au Sri Lanka… Mais grâce à la noix de cajou, notre pays brille dans ces parties du monde », a révélé le patron des filières coton et anacarde.
Autre inconvénient de l’exportation illicite du cajou, la baisse du tonnage national. Avec le risque de fragilisation de toute la filière. Le Gontougo (Bondoukou) en donne l’illustration. Cette région est très active dans le trafic, en raison de sa proximité avec le Ghana. Fournissant presque le quart de la production nationale, le tonnage enregistré de cette zone dans le circuit normal de commercialisation a drastiquement baissé. De 136.000 tonnes en 2014, il est passé à 83.000 tonnes l’année dernière. La lutte contre la fraude nécessite donc l’implication de tous.
L’instauration de comités de veille
Dans chaque département, a été installé un comité de veille. Présidées par les préfets, ces structures ont pour but de veiller à la bonne commercialisation du cajou. La lutte contre l’exportation illicite, son crédo. « Je vous demande de venir en aide au comité de veille local en dénonçant tous les cas de fraudes constatés vers la frontière », a lancé depuis Transua le directeur du CCA. Et à Bouna, Adama Coulibaly a menacé : « tous ceux qui font cette pratique sont des contrevenants et méritent des sanctions prévues par la loi ». Sauf qu’aucun des trafiquants arrêtés dans le cadre de cette lutte depuis le début de la traite 2017 n’a été mis en prison. Les camions leur sont restitués avec souvent les cargaisons.
Les saisies médiatisées de camions impliqués dans le trafic opérées par gendarmes et militaires ne représentent rien, comparées aux quantités énormes de cajou que ces mêmes corps habillés laissent passer, en échange de fortes sommes d’argent.
Vendredi 24 mars, à 19 heures, soit une semaine après la mission de la direction du CCA dans la région, 37 camions de 15 tonnes chacun sont indûment partis de Kanguélé (nord-est de Bondoukou) au Ghana, avec la complicité de certains éléments de sécurité. Un soldat qui a essayé d’empêcher le convoi a été tabassé par ses collègues. C’est dans la même localité que des militaires ont arrêté les 5 camions ghanéens bourrés d’anacarde. Conduits ensuite au camp du Bataillon de sécurisation de l’Est (BSE), les véhicules étrangers ont, contre toute attente, été restitués aux propriétaires, mardi 21 mars. Aucune explication donnée.
Ces restitutions contrastent avec les propos rassurants tenus, mercredi 15 mars, par Guibro Nicolas (Commandant en second du BSE). « Le Bataillon de sécurisation de l’Est s’inscrit dans la volonté du chef de l’État de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent. C’est pourquoi nous tenons divers postes d’observation sur la frontière qui sépare notre pays et le Ghana », avait-il déclaré. Écoutez ses propos en cliquant sur l’audio ci-dessous !
https://soundcloud.com/user-34409075/trafic-danacarde-a-la-frontiere-ivoiro-ghaneenne
Rares donc, ceux qui résistent au cash que les trafiquants déposent sur la table. Derrière ce juteux business de l’exportation frauduleuse du cajou, se trouvent des visages bien connus sur les lesquels nous reviendront.
OSSÈNE OUATTARA