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jeudi 28 mars 2024
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Les réalités insoutenables de l’exploitation minière dans l’Est de la Côte d’Ivoire

En Afrique, les sociétés extractives ont souvent maille à partir avec les populations vivant à proximité des sites d’exploitation minière. Expropriation de terres, destruction des cultures, dédommagements fantaisistes – voire absence d’indemnisation –, nuisances sonores, mécontentement… rythment la vie dans ces zones. La région manganésifère du Nord-Est de Côte d’Ivoire (le Zanzan) ne fait pas exception de ces crises. Depuis 8 ans, les habitants demandent réparation des torts causés par un géant minier : l’indien Dharni Sampda (Taurian). Pour en savoir sur les raisons du désamour entre la multinationale et les riverains, nous avons enquêté pendant 3 ans. Nos découvertes sont à peine croyables. Et pourtant…

Des femmes dans la mine de manganèse de Bondoukou (crédit ph: Ossène)

L’arrivée de Taurian à Bondoukou

Munie des Décrets PR N°202 de Bondoukou/Sorobango et PR N°200 de Bondoukou/Tagadi lui accordant 2 permis de recherche de manganèse signés le 23 août 2006 par l’ex-président, Laurent Gbagbo, la compagnie minière pose la même année ses engins à Boromba, une petite bourgade près de Bondoukou. Les Décrets présidentiels précisent les limites du périmètre d’exploration : 1.000 km². Cette phase de recherche devait durer 3 ans.

La société bénéficiaire s’engage au cours de cette période, à effectuer des dépenses d’un montant minimum de 210 millions de francs CFA pour chaque zone. Soit un total de 420 millions de francs CFA en travaux de prospection, de recherches et de développement des gisements reconnus à l’intérieur des périmètres couverts par les permis de recherches.

En quelques semaines, Taurian a extrait d’énormes quantités de minerai. Le directeur régional des Mines, Séa Honoré, a estimé à 50.000 tonnes les quantités sorties du sous-sol et transportées au Port d’Abidjan, dans le Sud, à 420 km. Enormes pour une simple exploration. Et si l’entreprise exploitait subtilement le manganèse ?

Le ministre des Mines soupçonné de complicité

Faute d’information sur ce qui est advenu des quantités de minerais extraites, les populations ont pointé un doigt accusateur sur Léon Emmanuel Monnet, ministre des Mines. Soupçonné d’avoir pris un Arrêté ministériel pour autoriser Taurian à exploiter le manganèse. En violation du Code minier (ancien). Seul un Décret présidentiel peut autoriser la prospection et l’exploitation minière.

Le silence de l’administration publique locale a entretenu un climat de suspicion. Le 25 juin 2008, le Mouvement des jeunes pour la renaissance de Bondoukou (MOREB), une organisation née un mois plus tôt, adresse une lettre aux dirigeants de Taurian. Le contenu laisse deviner des lendemains incertains : « Depuis des mois, votre société exploite des gisements de manganèse dans le département de Bondoukou (…). Nous nous insurgeons contre le fait que cette exploitation n’a pas déterminé des retombées auxquelles le département et ses populations sont en droit d’attendre. A travers un courrier, nous avons attiré l’attention du président du Conseil général, autorité compétente, sur les enjeux d’une telle activité. Malheureusement, notre lettre est restée sans suite. Nous vous informons que nous, jeunes de Bondoukou, regroupés au sein du MOREB, avons décidé de mener des actions en vue de faire respecter nos droits et intérêts ».

Une série de manifestations violentes

Le lendemain 26 juin, des violences éclatent. Les nuisances occasionnées par le passage des engins – notamment la poussière – mêlées au mécontentement général, ont fini par excéder. Les jeunes arrêtent 2 camions de l’entreprise minière à la sortie de la ville de Bondoukou. Les populations ne décolèrent pas.

Pour faire baisser la tension, le préfet de Bondoukou initie une rencontre avec toutes les parties, le 28 juin. Taurian affirme avoir pris bonne note des revendications. Notamment, pour ce qui est de la réalisation de projets socio-économiques à Bondoukou. Plus rien ne s’oppose à la reprise de ses activités. Mais le calme ne durera qu’un mois.

Manifestation contre Dharni Sampda, au carrefour de Similimi-Séréoudé, mercredi 9 octobre 2013

Dans la matinée du 6 août 2008, nouvelle crise. Des manifestants se réclamant du MOREB s’attaquent aux camions de l’entreprise minière. Les dommages causés se chiffrent à 6 millions de francs. Au cours d’une réunion tenue dans la soirée, le préfet rassure les opérateurs économiques indiens : « la situation est sous contrôle ». Erreur. Les jeunes gens récidivent, le 12 août. Deux bennes sont entièrement détruites. Les pertes estimées à environ 150 millions de francs.

Le même jour, 5 membres du MOREB sont arrêtés et écroués. Ces arrestations ont paralysé toute l’activité économique de Bondoukou. Taurian, obligé d’interrompre ses travaux, du 12 au 24 août. La compagnie minière a chiffré le préjudice à 100 millions de francs.

Après avoir passé 16 jours en cellule, les manifestants sont jugés puis condamnés à une peine d’emprisonnement d’un an avec sursis.

Dans cette ambiance malsaine, le ministre des Mines arrive à Bondoukou le 12 novembre 2008. Léon Emmanuel Monnet atteste de la légalité des activités de la multinationale indienne dans la région. L’extraction du manganèse, désormais étendue aux localités de Similimi, Pougouvagne, Séréoudé et Boedem. La zone de la Tatawa (une ceinture de montagnes), aussi concernée. On est bien au-delà du périmètre et des limites de 1.000 km² définis pour l’exploration par les Décrets présidentiels.

Autre zone d’ombre, le résultat des analyses d’échantillons pour déterminer la présence de manganèse dans le sous-sol. Quatre années ont passé. Et pas de conclusion tirée des quantités de minerais parties à Abidjan. Personne n’infirme ni confirme que le sous-sol de la région de Bondoukou regorge des pierres précieuses. Mais les engins continuent de décaper en profondeur le sol.

Les habitants, constitués à 99,99% de paysans, dénoncent la destruction de leurs terres et des cultures sans que des compensations ne leur soient versées. Les villageois crient famine et pauvreté. L’activité de Taurian sera rythmée par des perturbations jusqu’en 2010.

L’arrivée du ministre Agustin Kouadio Komoé

Le 23 février 2010, Augustin Kouadio Komoé, natif de la région, remplace Léon Emmanuel Monnet à la tête des Mines. Soit 4 ans après le début des travaux de l’entreprise à Bondoukou. Les populations locales ont cru que la nomination d’un des leurs résoudrait définitivement les problèmes causés par l’exploitation du manganèse. Face aux menaces persistantes contre les installations de Taurian sur les sites, le nouveau ministre fait suspendre les activités d’extraction. Le temps de mieux s’imprégner du dossier.

Au même moment, d’autres régions minières sont en ébullition. Dans le Sud, le Centre-Ouest et le Nord. Précisément à Lauzoua (Guitry), Angovia (Bouaflé) et Tongon (Korhogo). Situation ayant amené le Conseil national de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (CNITIE) a organisé, du 29 au 31 juillet 2010, à Grand-Bassam (cité balnéaire), un atelier de réflexions sur l’impact des activités extractives sur les populations situées à proximité des zones d’exploitation.

Des recommandations ont été faites aux sociétés. Les plus importantes : exécution de projets de développement communautaire (construction d’écoles, centres de santé,…), dédommagement des populations lésées par les activités (déplacement forcé, perte de surfaces agricoles). L’indemnisation prend en compte l’impact environnemental. La constante reste l’embauche des habitants vivant aux abords des périmètres d’extraction.

Laurent Gbagbo à Bondoukou

Septembre 2010. Le chef de l’État, Laurent Gbagbo, se rend à Bondoukou. S’exprimant sur le manganèse, le président déclare : « Avant de venir ici, votre fils, le ministre Augustin Kouadio Komoé m’a fait signer le décret de l’exploitation du manganèse à Bondoukou. Jusqu’à présent, l’autorisation d’exploitation n’était pas donnée. C’était plutôt l’exploration qui était permise. Aujourd’hui, il y a l’autorisation d’exploiter ». Le Décret présidentiel autorisant Taurian à exploiter le manganèse est signé le 23 septembre 2010.

La prospection minière aura donc duré 4 années au lieu des 3, conformément aux Décrets signés par le président, en 2006. L’entreprise a aussi étendu ses recherches au-delà de Tagadi et Sorobango, les limites du périmètre de 1.000 km². Mais aucun rappel à l’ordre ne lui sera fait. Situation très tôt dénoncée par Babacauh Koffi Dongo, cadre de Bondoukou et président de la Coordination des collectifs et mouvements de défense des intérêts de la région. C’est ce professeur d’agronomie qui a révélé « l’anomalie » : 923,3 km² de plus, voilà ce qu’a réussi à avoir la société. Les réserves de minerais de manganèse découvertes dans la région étant estimées à 6,7 millions de tonnes.

Pour les responsables de Taurian, l’extension autorisée par le ministre Léon Emmanuel Monnet n’est que l’octroi d’une autre parcelle. Violation de la loi qui n’autorise pas plus de 1.000 km² pour une simple recherche, rétorque l’ingénieur agronome. Si ce dernier ne s’insurge pas « contre » les travaux d’exploration, il dénonce l’extension illégale du périmètre de recherche. Quitte à être désigné comme l’instigateur des manifestations contre l’entreprise minière.

Une catastrophe sociale et environnementale

« Ils ont exploité l’ignorance de nos parents », déplore Dongo Babacauh. L’extension illégale de la mine, une catastrophe au niveau social. Pour cause : elle a provoqué la destruction des terres des paysans et tari leurs sources de revenus. Des vergers d’anacarde, principal produit de rente, ont été rasés.

Des eaux de surface polluées par l’activité minière, causant l’assèchement des cultures

L’eau de surface, devenue impropre à la consommation. Avec l’activité de la mine, elle est boueuse. « Beaucoup de personnes affirment que le lavage du minerai provoque des dégâts à leurs cultures et à la végétation. Sur le bureau du préfet, les dossiers de nombreux plaignants », révélait Zoué Sepan. L’ancien sous-préfet de Bondoukou exprimait les griefs des maraîchers et des riziculteurs situés aux abords du barrage de Kpoda. En effet, Taurian se sert de l’eau de cette retenue pour débarrasser le minerai des impuretés. En coulant, les rejets chargés de particules ferreuses corrodent les plants. De nombreux poissons sont morts de la pollution. Au grand dam des pêcheurs, privés d’activité.

En outre, les riverains dénoncent les bruits assourdissants d’explosifs. L’entreprise utilise de la dynamite pour pulvériser les roches d’où est extrait le minerai de manganèse. Longue, la liste des problèmes.

Le cas particulier de Similimi

« C’est difficile à accepter, mais nous sommes obligés de partir d’ici », confient amèrement les habitants de Similimi. La situation de cette petite localité rend mieux compte du degré de pauvreté des habitants des villages concernés par les activités minières dans la région de Bondoukou. Similimi est sinistré du fait de sa proximité avec la mine. Les machines de Taurian sont à ses portes. Le quotidien rime avec bruits. Mais aucun plan de délocalisation et de relocalisation des habitants décidé par le gouvernement. On continue d’avaler la poussière et de s’exposer aux émanations de gaz nuisibles à la santé.

Une vue de l’école primaire de Similimi

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une limite d’exposition à visée sanitaire de 0,3 mg de particules respirables de manganèse par mètre cube d’air. L’exposition prolongée au minerai entraîne des lésions du système nerveux central et des poumons. Mais 2D Consulting minimise les risques. Pour ce cabinet d’expertise en développement durable, aucune inquiétude. « Tout le procédé d’exploitation ne bénéficie d’aucun ajout de produits chimiques », rassure Soungalo Coulibaly, le chargé du suivi interne des questions environnementales, de l’hygiène et de la sécurité liées à l’exploitation du manganèse de Bondoukou. Ce n’est pas ce que pense Victor Atta, président de l’ONG Vert Universel. « L’extraction minière dans le Zanzan n’est pas suivie d’une étude sérieuse sur l’impact environnemental », révèle-t-il. Et d’appeler l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) à « une évaluation afin de donner de nouvelles directives ».

À Similimi, pas d’infrastructures sociales de base comme recommandé par le séminaire de Grand-Bassam. C’est une cabane qui fait office d’école. Les élèves sont régulièrement perturbés par le passage des camions de la société.

Les machines de la compagnie minière en plein travail aux pieds des habitations

La rivière Coloï qui fournit de l’eau au village est polluée. Les habitants, contraints de boire le liquide souillé, faute de pompe hydraulique.

La situation du village a amené le jeune Kra Michel, président de la Mutuelle locale de développement, à adresser plusieurs courriers au ministre des Mines. Objet, exprimer la nécessité de relocaliser les populations. « Aucune réponse », affirme-t-il, désolé. Mais Similimi, situé sur des hauteurs d’environ 700 m, est « assis » sur des gisements de manganèse que Taurian n’épargnera pour rien au monde. Gisements parmi les plus prometteurs de la région. Ils sont estimés à 2 millions de tonnes. La teneur en manganèse pur, comprise entre 40 et 42% minimum. Un maximum de 51%, selon l’entreprise.

Des indemnisations ridicules

Après des semaines d’arrêt sur ordre du ministre Augustin Kouadio Komoé, Taurian reprend l’exploitation du manganèse. Mais les divergences, pas pour autant aplanies avec les populations riveraines. Pour contenter ces dernières, l’entreprise procède à leur indemnisation. Sont concernés, les paysans dont les terres ont été occupées et les champs détruits.

Sur les critères d’évaluation des préjudices et le montant affecté à chaque type de culture détruite, rien de clair. À titre d’exemple, des villageois se sont vu remettre 33.250 francs CFA pour une superficie de 3.500 m² ; 80.000 francs CFA pour 1.600 m² ; 200.000 francs CFA pour 0,4 ha. Des dédommagements à l’envers.

Des attestations d’indemnisation. Il n’y figure ni la signature de la Direction des Mines, ni celle de l’Agriculture

Analphabètes, les paysans ont établi puis signé des attestations de paiement sans savoir ce que cela impliquait pour eux. La multinationale indienne s’est donc prémunie contre d’éventuelles poursuites judiciaires. « …Après avoir reçu cette somme, je m’engage à ne mener aucune action contre ladite société. En foi de quoi, je délivre la présente attestation pour servir et valoir ce que de droit », lit-on au bas des attestations. Documents sur lesquels ne figurent ni la signature d’une autorité du ministère des Mines ni celle d’un responsable de l’Agriculture. En obligeant à les légaliser à la mairie, ces attestations font mine d’avoir une « assise légale ». Taurian a traité directement avec des personnes ignorant tout de leurs droits.

Le professeur Babacauh résume la situation : « les indemnisations proposées en l’absence des pouvoirs publics sont ridicules ». En fait, l’entreprise s’est adossée sur le Code de l’agriculture pour calculer les montants. Cette loi, beaucoup moins avantageuse pour les paysans, tient seulement compte des arbres détruits sur un terrain. Avec le Code minier, l’accent est mis sur la destruction durable des sols pour la détermination des barèmes de dédommagement.

Respect de la loi ou non, des paysans n’ont été « dédommagés » que partiellement. Ils attendent le reliquat de l’argent promis. Cas de dame Ouattara Mariam vivant à Séréoudé. Ses collègues Kobenan Koffi Etienne et Kobenan Kra affirment n’avoir rien reçu de la société minière.

Dans ce flou rendu possible par une administration publique opaque, l’entreprise extractive change de nom et de siège.

Taurian devient « Dharni Sampda »

La société indienne a changé de dénomination 3 fois. En mai 2006, date de sa présence officielle en Côte d’Ivoire, elle a été enregistrée sous le nom Taurian-Côte d’Ivoire. Un an après (octobre 2007), elle devient Taurian Manganese & Ferro Alloy CI SA. Depuis octobre 2010, Taurian s’appelle Dharni Sampda (en sanskrit, signifie « richesses de la terre »). À la même date, la société quitte son siège logé à l’immeuble Helena, à Marcory-Zone 4 Biétry. Elle emménage dans un immeuble du Boulevard lagunaire, au Plateau (quartier d’affaires, à Abidjan).

Naissance de « Bondoukou Manganèse SA »

En février 2011, naît l’entreprise Bondoukou Manganèse SA. L’Etat y est actionnaire à hauteur de 10% et entre, du coup, dans le capital social de Dharni Sampda. En effet, Bondoukou Manganèse a pour centre de décision le 4ème étage de l’immeuble Iroko, siège de la multinationale indienne, à Abidjan. Les 2 entreprises ont la même adresse postale. Idem au niveau des administrateurs : Sachin Bajla (président du conseil d’administration) et Ansu Bajla (directeur général). Taurian, Dharni Sampda et Bondoukou Manganèse : 3 noms de la même société. Qui n’est pas sans créer la confusion.

Des espoirs déçus

Ils ont été nombreux, ceux ayant cru que la nomination d’un des leurs à la tête des Mines réglerait le problème de l’extraction dans le Nord-Est. Désenchantement ! Le ministre Augustin Kouadio Komoé n’a pas apporté le changement espéré sur le terrain, à Bondoukou. Pas plus que les mutations d’appellations et de siège de Taurian n’ont fait bouger les choses.

Pourtant, en régularisant la situation de Randgold Resources pour l’extraction de l’or à Tongon, Augustin Komoé a exigé et obtenu de la société l’indemnisation des paysans. En outre, en dehors des 10% de bénéfices à verser à l’État ivoirien, Randgold doit contribuer à l’extension du réseau électrique depuis Korhogo. Soit 10 milliards de francs de dépenses à faire. Et ce n’est pas tout : l’approvisionnement en eau toute l’année (en raison de la construction d’un barrage) est inscrit au nombre des projets à réaliser. A noter encore l’obligation faite à la société d’avoir une forte proportion d’Ivoiriens (80%) parmi son personnel. Certains de ces projets avaient déjà été réalisés par Randgold.

Réunion des habitants de Similimi. Ils s’interrogent sur l’avenir du village

À Bondoukou, chez le ministre, Taurian dort tranquille. L’entreprise a le soutien du premier responsable des Mines du pays. Donc aucune inquiétude pour la suite de ses activités ! Et pas les mouvements de colère de paysans démunis qui troublera son sommeil. La multinationale semble bénéficier d’un traitement de faveur. On est moins exigeant avec elle pour le respect du cahier des charges. Dharni Sampda est épargné par les contraintes imposées à Randgold Resources. Du « 1 poids 2 mesures » : mêmes sociétés extractives, des règles applicables différentes.

En avril 2011, Augustin Kouadio Komoé est emporté dans la chute de Laurent Gbagbo. Alassane Ouattara arrive au pouvoir et confie le portefeuille des Mines à Adama Toungara. Mais le nouveau ministre passe le temps à célébrer au champagne sa nomination que de répondre aux cris de détresse des habitants de la zone manganésifère du Nord-Est. Fatigués d’attendre, ces derniers ont décidé de se faire entendre bruyamment. Ventre qui a faim n’a point d’oreille !

Jeudi 3 janvier 2013. Sur le site minier de Bonem, 11 employés de Dharni Sampda – tous de nationalité indienne – sont séquestrés par des villageois. Puis brutalisés. On enregistre 3 blessés. Le ministre Toungara réagit. Le samedi 12 janvier, il réunit à son Cabinet d’Abidjan les forces vives de la région de Bondoukou. Autorités préfectorales, élus locaux, cadres, chefs coutumiers, guides religieux, jeunes, se sont retrouvés au 20ème étage de l’immeuble SCIAM, dans le quartier d’affaires. Objectif, échanger en vue de « trouver des solutions durables » aux problèmes de l’exploitation du manganèse. À la table, aucun représentant de la compagnie minière.

Au cours de la rencontre, le ministre s’en est pris vertement aux jeunes du MOREB. « Le MOREB, c’est quoi ? Ça vous a amenés où depuis 2008 ? », s’est interrogé avec sarcasme Adama Toungara. Et d’ajouter : « vous orientez votre énergie dans la mauvaise direction. La chose à faire, c’est de laisser l’administration gérer cette affaire d’indemnisation ». Dharni Sampda est pourtant en activité dans la région depuis 2006.

Autre surprise : le ministre Toungara s’est fait l’avocat de la société indienne. « Dans son contrat avec l’Etat de Côte d’Ivoire, Taurian a l’obligation de payer ses impôts. Il n’est pas écrit qu’elle doit réaliser tel kilomètre de route », a-t-il affirmé. Le patron des Mines a cependant semé la confusion en soulignant « la responsabilité sociétale » de l’entreprise par « la mise en place d’un Comité de suivi de développement communautaire (CSDC). Ce comité réfléchira, puis fera des propositions pour permettre à Taurian de dire ce qu’elle peut faire à l’endroit des populations riveraines ». Le professeur Babacauh, lui aussi tancé par monsieur Toungara.

La délégation venue de Bondoukou est repartie, désillusionnée. Déception légitime car 7 mois après, le CSDC annoncé n’a pas vu le jour. Les choses resteront en l’état jusqu’au jeudi 25 juillet 2013. Date à laquelle Adama Toungara perd le département des Mines. À la tête du ministère durant 2 ans, pas une seule fois le super ministre ne s’est rendu dans la zone manganésifère pour s’imprégner des réalités. En dépit des « cris d’orfraie ».

Regain d’espoir avec Jean-Claude Brou

Suite à un remaniement technique du gouvernement, Jean-Claude Brou cumule sa fonction de ministre de l’Industrie avec celle des Mines. Dans le Nord-Est, les villageois renouent avec les manifestations. Comme pour souhaiter la « bienvenue » au nouveau responsable. Du lundi 7 au vendredi 11 octobre 2013, des actions violentes sont organisées contre Dharni Sampda. L’entreprise suspend ses activités d’extraction, à son corps défendant. Toutes les voies d’accès à ses sites étant bloquées par les paysans.

Le jeudi 17 octobre, Jean-Claude Brou se rend à Bondoukou. Il visite le site minier situé à moins de 100 m de Similimi. Dans ce village, les réalités sociales sont touchées du doigt : dénuement et extrême pauvreté. À Kouassi-N’Dawa (autre localité), devant les chefs coutumiers, le ministre adresse un message apaisant : « Le président de la République tient à ce que tout se passe bien dans l’intérêt des populations. Il nous a mandaté pour s’occuper de cette question afin qu’elle soit réglée. J’ai voulu constater et parler avec la population pour avoir des éléments d’informations afin de préparer les solutions ». Et comme solution à très court terme, Jean-Claude Brou annonce pour le 8 novembre 2013 l’installation du CSDC, « qui sera chargé de suivre les travaux et veiller aux intérêts de chacun ». Le ministre en a donné l’ossature. « Dans ce Comité, il y aura des élus et les communautés concernées. Il s’agira de permettre à l’entreprise de se développer, mais aussi de permettre aux populations de bénéficier d’actions de développement ». Terminant, il a demandé aux populations de rester calme. Message accueilli avec des ovations.

Le ministre Jean-Claude Brou, ici à Séréoudé, samedi 30 novembre 2013

Le Comité de suivi et de développement communautaire est finalement installé, le samedi 30 novembre, par le ministre en personne. Promesse tenue. Mais la structure reste une coquille vide. Plusieurs mois après sa naissance, elle n’a jamais fonctionné. Le désespoir commence à gagner les paysans.

Mardi 13 mai 2014. Le CSDC tient sa première réunion présidée par le préfet de région. Ce dernier annonce la bonne nouvelle : 0,5% du chiffre d’affaires de Bondoukou Manganèse ira au Comité. L’argent servira à réaliser des projets socio-économiques dans les 14 villages touchés par l’extraction minière.

Au sortir de la rencontre, les visages sont joyeux. « Notre lutte a fini par payer. Nous sommes satisfaits de ce qui est prévu », a indiqué Kouamé N’Guettia, ingénieur agronome à la retraite. Même satisfaction chez Kra Michel, membre du CSDC. « Ce Comité est un espoir pour les populations que nous représentons. Aujourd’hui, le comité entre en activité. Je dis merci au gouvernement et au préfet ». La suite démontrera qu’ils ont eu tort de s’être réjouis trop vite. Au moment où nous mettons sous presse cette enquête, pas un seul centime versé dans la caisse du CSDC. Aucune infrastructure sociale de base construite par Dharni Sampda dans aucun des 14 villages concernés par l’exploitation minière. Au cours de nos investigations, nous avons découvert que le Comité a été créé pour juste calmer les riverains.

Cette ruse du ministre Jean-Claude Brou s’inscrit dans la stratégie mensongère des dirigeants de la compagnie indienne pour obtenir le renouvellement du permis d’exploitation. Rencontrant le président de la République, jeudi 12 septembre 2013, Sachir et Ansu Bajla avaient promis à Alassane Ouattara de respecter les engagements vis-à-vis des populations vivant dans les zones où exerce leur entreprise. « Nous sommes venus remercier le président Ouattara pour l’octroi d’un permis d’exploitation à notre groupe dans les régions d’Odienné et Bondoukou », avait indiqué Sachir Bajla, le président de Dharni Sampda. Avant de souligner : « nous avons également parlé de notre engagement à investir dans ces 2 régions pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Notamment dans les infrastructures routières, l’éducation et l’eau potable ». Déclaration de « générosité », toujours à l’état verbal. Et pas sûr que le président Ouattara est informé, 2 ans après l’audience, que les frères Bajla n’ont pas « amélioré les conditions de vie des populations ». En tout cas, pas à Bondoukou. N’empêche ! Ansu Bajla a reçu des galons de la République : il a été nommé président de la plate-forme d’amitié Inde-Côte d’Ivoire.

Plus ça change, plus ça se ressemble ! Quatre ministres se sont succédé à la tête du département des Mines depuis 2006. Chacun a fait face à la colère des habitants vivant aux abords des zones manganésifères. Et chaque membre du gouvernement a apporté la même solution aux problèmes soulevés : l’indifférence. À tout le moins, une suite de promesses creuses. Au ministère des Mines, on parle de l’installation d’une nouvelle structure à Bondoukou : le Comité de développement local minier (CDLM). En remplacement du CSDC. Pourquoi faire ?

Huit ans que des paysans démunis appellent au secours l’État. Leurs terres sont occupées et détruites durablement. Les champs rasés par les engins de Dharni Sampda. Des populations entières sont privées de leurs sources de revenus et n’arrivent plus à scolariser leurs enfants.

Le Zanzan – plus vaste région administrative et aussi la plus pauvre de Côte d’Ivoire – pas pourtant dépourvu de fils et filles susceptibles de porter les plaintes dans les hautes sphères de décision. Et changer les conditions de vie précaires grâce à une partie de l’argent du sous-sol régional. Deux cadres occupent actuellement des fonctions ministérielles : Kaba Nialé (Economie) et Kobenan Kouassi Adjoumani (Ressources animales et halieutiques). De nombreux autres, hauts responsables de l’administration publique. Parmi ces « enfants » d’agriculteurs pauvres, certains sont devenus députés. Élus par leurs « parents » pour porter les préoccupations locales devant l’Assemblée nationale.

Les 29 et 30 octobre 2012, Anzoumana Moutaye, Ouattara Siaka et Atta Koblan sillonnent Similimi, Pougouvagne, Séréoudé et Bonem (localités concernées par les activités minières). Les 3 parlementaires ont échangé avec les habitants. Ces derniers, rassurés par la promesse de la prise en compte de leurs préoccupations par le gouvernement. Sauf que ces missions de « bons offices » se font à sens unique. Aux pauvres villageois, on demande la patience depuis 2006. Aucune délégation de cadres et élus du Zanzan chez le chef du gouvernement ou le président de la République pour exposer directement les problèmes générés par l’extraction minière. Au contraire, nos découvertes pendant l’enquête laissent perplexe.

Quand des cadres « mangent » avec la compagnie minière

« Les populations ne peuvent en aucun cas s’opposer aux décisions des autorités. Mais nos parents ont été abusés. Par arrêté ministériel, l’autorisation d’exploration a été accordée à Taurian. Mais cette société a procédé à une exploitation tacite. Des personnes qui ont passé leur vie à cultiver ces terres et sur lesquelles se trouvent leurs plantations doivent bénéficier de certaines compensations. Elles ne demandent rien d’extraordinaire à l’Etat, ni à ceux qui exploitent ces terres. Sinon des retombées pour elles-mêmes, pour la région, et surtout pour les générations futures »,  a déclaré le président du Conseil régional de Goutougo, le 30 novembre 2013, lors de l’installation du Comité de suivi et de développement communautaire (CSDC). Et de révéler : « Malheureusement, le comportement de certaines personnes chargées de transmettre les messages des autorités et de la société frisent en quelque sorte la désinvolture ». Kossonou Kouassi Ignace ne le sait peut-être pas : le mauvais comportement de certains est allé beaucoup plus loin.

En octobre 2013, nous sommes allé à la Primature dans le cadre de nos investigations. Un Conseiller du Premier ministre Daniel Kablan Duncan a confié qu’un éminent cadre de Bondoukou a défendu Taurian devant le gouvernement. Allant jusqu’à affirmer que la société a construit dans les localités où elle exerce, routes, écoles, centres de santé, etc. Le nom de l’homme ne nous a pas été dévoilé, malgré notre instance. Le Conseiller est resté pantois lorsque nous lui avons montré l’image de l’école de Similimi. À la suite de quoi il a lancé : « le problème, c’est vos cadres ! Ils embellissent la situation précaire dans laquelle vivent les gens sur le terrain ». Le gouvernement n’aurait donc pas les vraies informations sur les réalités dans les zones minières. En cause : les rapports faux, selon notre interlocuteur. Est-ce la raison de l’absence de réaction face à la détresse des villageois ? Rien n’est moins sûr. Des « parents » trahis par leurs « enfants », faut avoir quelque intérêt à le faire.

Défendre Dharni Sampda dans le mensonge et recevoir des billets de CFA au détriment de milliers de paysans ignorants : l’enjeu en vaut la chandelle pour des « fils » peu scrupuleux. « Chaque fin de mois, des personnalités publiques passent dans les bureaux de Bondoukou Manganèse pour récupérer leurs enveloppes », révèle une source bien introduite à Taurian. Pas tout : la compagnie minière a tissé des liens si forts avec des cadres de la région qu’elle s’est même invitée dans les élections régionales d’avril 2013. Elle a soutenu un des 2 candidats en lice. « Taurian a pris en charge à hauteur de 5 millions de francs CFA les frais de confection des T-shirts du candidat. C’est l’avion de l’entreprise qui a transporté les tricots d’Abidjan à Bondoukou », poursuit notre source qui souhaite rester anonyme. Plusieurs personnes affirment avoir vu le directeur général de Taurian en compagnie de ce candidat.

Des mois avant le scrutin, à multiple reprises, nous avons essayé de rencontrer cette personne dans ses bureaux d’Abidjan. Sans succès. Même échec après les élections dont il est donné vainqueur face à Babacauh Koffi Dongo. Nous n’avons pu avoir sa version des faits.

La présence de l’entreprise minière à Bondoukou, finalement une manne pour cadres, élus locaux et autres personnes investies d’un mandat public ? Nul doute. Certains en profitent en s’improvisant hommes d’affaires. Cas de l’ex-maire qui, affirme-t-on, a développé un business de location de camions pendant qu’il était en fonction. Taurian, son seul client. Nos messages de demande d’interview avec l’ancien conseiller municipal sont restés sans réponse.

L’exploitation du manganèse profiterait donc à une « élite régionale » privilégiée par le rang et les statuts : directeurs régionaux, députés, conseillers municipaux… Vouloir que ces affairistes circonstanciels prennent le parti de pauvres analphabètes contre une société étrangère ayant de l’argent à donner à qui la soutient, c’est leur faire courir le risque de fâcher ce « bienfaiteur providentiel » et perdre leur « mangement ». Devant un public médusé, en 2013, le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani a levé toute équivoque : « si j’en parle, je perdrai mon poste », avait-il affirmé. Mais c’est ce même patron des Ressources animales et halieutiques qui marque à la culotte Jean-Claude Brou, dans chacun des déplacements de ce dernier à Bondoukou. Aux côtés du ministre des Mines, le natif du Zanzan s’exprime devant les populations avec des postures laissant sous-entendre que leurs préoccupations lui tiennent à cœur. Comme quoi le problème du manganèse cache bien des hypocrisies. Et les paysans, grands perdants.

Les habitants de Nanyongo, Kouafo et Dingbi doivent eux aussi se préparer à recevoir les machines de la compagnie minière. Selon l’agence Ecofin, il existerait 3 millions de tonnes de réserves probables de manganèse explorées dans ces 3 concessions. De nouvelles terres seront occupées et des cultures détruites. Restera la bataille pour la survie : la réparation des préjudices.

Comparé Dharni Sampda et Randgold Resources en termes de réalisation de projets sociaux à Bondoukou et Korhogo : la lumière et l’obscurité. Ansu Bajla s’en justifie. Quitte à avancer des chiffres différents de ceux publiés sur le site internet de sa société : « À Similimi, nous découvrons généralement 30% de manganèse pour 70% de terre enlevée », a affirmé le directeur de Taurian, le 17 octobre 2013. Autrement dit, le manganèse n’est pas l’or. La multinationale indienne n’aurait donc pas les mêmes moyens financiers que Randgold. Mais ça continue d’extraire 12.000 tonnes du minerai chaque mois à Bondoukou.

Grogne chez des salariés de Dharni Sampda

Les conditions difficiles de travail des salariés ivoiriens sur les sites, autre réalité de l’extraction minière dans le Zanzan. En mars 2013, nous avons rencontré un groupe de travailleuses. Elles ont toutes dénoncé le non respect de leurs droits par l’entreprise.

En 2008, sur un effectif de 200 femmes âgées entre 21 et 50 ans, 111 ont été « abusivement » licenciées. Taurian s’en est débarrassées sans aucun accompagnement financier. Face à leur plainte, la société les a calmées par une promesse de réembauche.

Les femmes concassent les pierres extraites du sol avec des marteaux pour seuls instruments. D’autres en assurent le tri. « C’est un travail difficile parce que les cailloux qui proviennent du sol sont couvertes de boue. Il faut d’abord les essuyer avant de les concasser manuellement », se plaint une quadragénaire. Sa collègue renchérit : « Nous sommes exposées au soleil, sans gants ni bottes. Pas de cache-nez adaptés contre la poussière que nous respirons tous les jours. Nous n’avons pas de lunettes pour éviter nos yeux des éclats de pierres ». Tous ces efforts pour 24.000 francs CFA chaque quinzaine.

Un camion de l’entreprise transportant des salariées dans une mine

Aujourd’hui, 134 femmes donnent de leurs énergies dans les mines de manganèse, à Bondoukou. Certaines y bossent depuis 6 ans. Malgré cette longévité professionnelle, elles restent toutes des journalières et rémunérées comme telles par Dharni Sampda. L’Inspection régionale du Travail reste silencieuse sur cette anomalie. Coulibaly Mamadou, l’inspecteur, n’a pas voulu répondre à nos questions.

Même galère chez le personnel masculin ivoirien. Qui dénonce une « indianisation » outrancière des emplois sur les sites. Pour cause, au début des activités de Taurian dans la région, en 2006, le nombre de travailleurs de nationalité indienne tournait autour de 30 personnes. Aujourd’hui, près de 120 Indiens travaillent à temps plein dans les mines, contre 96 nationaux. Un écart de chiffres qui implique des différences de traitement salarial. Les expatriés, assurés et mieux payés. Notre source révèle que ces derniers sont payés par la maison mère, en Inde. Et les salaires, directement virés dans des banques situées sur le sol indien. Manière d’éviter certains impôts.

Attention à la grève !

Avec les Ivoiriens, ce sont des fins de mois difficiles. A cause de la modicité des rétributions. Certains de ces salariés de seconde zone se sont ouverts à nous, le cœur étreint par l’amertume. Mais à Bondoukou, pas de travail. Le taux de chômage chez les jeunes, un des plus élevés du pays. On accepte donc, malgré soi, les mauvaises conditions imposées par Dharni Sampda. Alors, se mettre en grève ? Une alternative déconseillée. Quand l’Inspection régionale du Travail conjugue avec la compagnie minière, mieux vaut s’abstenir d’appeler à un arrêt des activités. Séka Koman Jean-Paul l’a appris à ses dépens.

En juin 2013, ce conducteur d’excavateur, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de Taurian manganèse (SYNTTAM) a été licencié. Son tort : il a incité ses camarades à observer une grève jugée « illégale » par les responsables de l’entreprise. Le jeune homme avait donné les raisons de cet arrêt de travail. Les salariés souffraient de la poussière à cause d’une panne du camion-citerne qui arrose les sites de production. Deux semaines que la situation durait. Des travailleurs en sont tombés malades. « La Direction de la société a remboursé seulement 50% des frais médicaux, contrairement aux engagements pris », expliquait-il. Mais rien ne changeait sur le terrain. Les dirigeants traînant à réparer l’engin.

Vendredi 10 mai. Le syndicat, n’ayant eu autre choix, a appelé ses membres à un arrêt de travail. « La santé de l’ensemble des salariés était menacée », affirmait le secrétaire général du SYNTTAM.

Approchée, la direction générale de Dharni Sampda avait démenti les propos de son employé. Selon Bitty Elie, responsable administratif, la grève initiée par Séka Koman est illégale. « Le responsable HSE a attesté ce jour-là que la quantité de poussière ne pouvait pas empêcher le travail », avait-il répliqué. Ajoutant que la société a eu du mal à trouver la pièce de rechange du camion-citerne, mais la situation est entrée dans l’ordre dans l’après-midi du 10 mai. Plus de raison à déclencher une grève. « La Direction a donc jugé bon de suspendre son contrat jusqu’à l’aboutissement de la procédure légale auprès de l’Inspection du Travail ». Suspension suivie d’une lettre de licenciement, quelques jours après.

La lettre de suspension de Séka Koman Jean-Paul du SYNTTAM

Selon des collègues du jeune radié, beaucoup d’autres ont été remerciés de cette façon. Sans droits de licenciement. Mais le mal semble plus profond. Le personnel ivoirien, souvent accusé de vol. « Le constat malheureux, c’est que nos propres frères à qui l’on avait confié des responsabilités se sont rendus coupables de malversations : vol de gasoil, de graisse ou outils, etc. », accuse monsieur Bitty. Accusation rejetée par les mis en cause. Soutenus par notre source anonyme. Qui va plus loin : « à terme, les Indiens prendront la place des Ivoiriens dans les mines de manganèse, à Bondoukou. Dès qu’un Indien débarque en Côte d’Ivoire, on trouve des motifs pour licencier un Ivoirien », explique notre informateur. Voilà qui clarifie comment le nombre d’Indiens a grimpé d’une trentaine à environ 120 individus. L’inégalité de traitement cristallise les rancœurs chez les salariés nationaux. Mais la peur les habite. La menace de radiation des effectifs de l’entreprise décourage de se mettre en grève. « On révoque abusivement et ça va pas quelque part », se plaignent-ils avec un brin d’humour.

Un ancien responsable juridique, dont le contrat avec Dharni Sampda est arrivé à échéance, ne l’a pas renouvelé, pour « raison morale ». Parce que « ces gens ne respectent pas nos lois, les lois ivoiriennes », regrette-t-il, amer.

Négligence meurtrière

Les conditions sécuritaires dans les mines sont aussi décriées. En 2012, deux personnes sont tombées dans un bassin de 8 m de profondeur creusé par l’entreprise. Retenue d’eau mal entretenue. Ses bords sont boueux et très glissants. Bien que secourus à temps, la chute accidentelle des 2 travailleurs avait donné l’alerte sur les carences au niveau de la sécurité du personnel. Ces accidents, produits l’un après l’autre, n’ont pas amené la direction de Dharni Sampda à corriger les anomalies.  Et ce qui devait arriver arriva.

Mercredi 25 septembre 2013. Konaté Issouf, un apprenti chauffeur d’une vingtaine années, a trouvé la mort par noyade. Des témoins ont affirmé ce jour-là que le chef mécanicien du site d’extraction a ordonné qu’un des véhicules de la société soit lavé. Deux apprentis chauffeurs se sont mis à la tâche vers 9 heures.  Pour faire vite, ils ont partagé les rôles. Vu la taille énorme du camion de 40 tonnes. Konaté Issouf, chargé d’apporter de l’eau du bassin avec un seau quand l’autre lave le véhicule.

Aux environs de 10 heures, Konaté disparaît. À 14 heures, des travailleurs se rendent au bassin pour les ablutions de la prière musulmane. Leur découverte laisse sans voix : à la surface, flottent les sandalettes et la pièce d’identité de Konaté Issouf. Alertés, les Indiens ont vidé de moitié le puits pour permettre le repêchage du corps. Le petit a payé de sa vie le prix de la négligence. Et comme si rien de grave ne s’est passé, Dharni Sampda a ordonné la reprise du travail, le lendemain du drame.

Le Code du Travail, pourtant précis. L’article 41.1, relatif à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs, dit ceci : « Pour protéger la vie et la santé des salariés, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures utiles qui sont adaptées aux conditions d’exploitation de l’entreprise. Il doit notamment aménager les installations et régler la marche du travail de manière à préserver le mieux possible les salariés des accidents et maladies ».

L’entreprise s’en était dédouanée. Arguant que le défunt apprenti ne faisait pas partie de son personnel. N’empêche : le jeune de 20 ans avait l’habitude de laver les camions de l’entreprise. « Au vu et su des responsables« , rétorquent des travailleurs.

En Côte d’Ivoire, jamais exploitation minière n’aura fait autant de bruits. Et jamais l’État n’est resté aussi sourd aux cris de désespoir d’une partie de sa population.

OSSÈNE OUATTARA




4 thoughts on “Les réalités insoutenables de l’exploitation minière dans l’Est de la Côte d’Ivoire

  1. Kra Adaman

    nous devrons cesser de se morfondre à attendre des promesses et prendre notre destin en main pour soulager les cœurs de nos parents paysans qui ont trimés durant des années sur la terre de leurs ancêtres pour subvenir à leur besoins quotidiens et ceux de la génération futur sans rien attendre de l’État, pourtant l’État est celui même qui entrave la liberté de ceux-ci sans gain de cause en complicité avec les fils de la région, la question fondamentale aujourd’hui n’est pas de dire « comment se faire entendre par les autorités compétentes? » car elles sont déjà informées avant nous par les bourreaux qui se réclament « fils de la région  » pour ne pas dire « ennemie juré de la région » qui s’enrichissent sous la souffrance, les sueurs et les pleures de nos parents, mais il est temps de faire asseoir ces cadres pour qu’ensemble on puisse trouver une solution interne. comme on le dit chez nous : <>

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  2. ollo

    Nulle trace dans les archives des collègues de service du dossier sur l’étude d’impact environnemental de l’exploitation du manganèse dans le zanzan ce sont ces collegues qui finalisent toujours les études d’impact environnemental de tout projet et participent à la déliberation finale pour l’autorisation finale d’exploitation.Iil semblerait que pour des besoins péculiers l’ex-Président de la République Laurent gbagbo ait pris directement un décret autorisant le groupe Indien Tauran à ‘exploitation du manganése pour le grand malheur des riverains de cette zone
    .C’est un problème que tous les Cadres, élus locaux , chefs traditionnels,réligieux après concertation doivent soumettre directement au Président de la République après les élections du 25 octobre 2015…

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  3. DIAKITE Souleymane

    PROLETAIRES DU MONDE ENTIER, UNISSEZ VOUS! LA LUTTE NE FAIT QUE COMMENCER POUR LA REVENDICATIONS DE VOS DROITS LES PKUS ABSOLUS.

    COMMENT DES MULTINATIONALES ONT PLIÉES DEVANT LE PEUPLE.
    COMMENT DES DIRIGEANTS D’ENTREPRISES SE SONT RETROUVÉ AU CACHO APRÈS AVOIR DÉTOURNÉ ET ABUSE DES TRAVAILLEURS.

    REJOIGNEZ LA LUTTE. SEULE PAR LA LUTTE L’ON EXPRIME SA DIGNITE ET LAISSE UN TÉMOIGNAGES À SES ARRIÈRES.

    DIAKITÉ SOULEYMANE
    POUR LA JUSTICE ET LE DEVELOPMENT
    CEL:07906893
    CEL:45214605
    e.mail: swot.africa@gmail.com
    Abidjan Côte d’Ivoire

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